Garbage Pail Kids founder John Pound in BPM magazine
Here is an article I wrote in french for BPM magazine about John Pound, the legendary founder of the Garbage Pail Kids.
More about John and the Garbage Pail kids.
CRADE COMME UNE IMAGE
Mathieu le Dégeu, Pascal Troudeballe, Renée Morvoné. Ces noms ne vous rappellent rien ? Nous sommes au début des années 90 et un gang de scatophiles est en train d’envahir les cours de récréations. Ils se font appeler La Bande Des Crados et sont alors en passe de devenir les héros de toute une génération de gamins. Un doigt dans le nez et l’autre sur la gâchette de leur pistolet (à eau), ils épouvantent les parents et ruinent les économies des enfants. Ces terroristes en quadrichromie ne sont pourtant ni les membres d’une organisation révolutionnaire, ni des fanatiques religieux extrémistes. Ce sont tout simplement des personnages de BD, imprimés sur des stickers et vendus en France par la société Panini. Mais qui se cache derrière ces créations tendancieuses ? Le gourou d’une secte coprophile, un punk frustré apologiste du mauvais goût ?
BORN TO BE WILD… ENFIN PRESQUE
John Pound a été bercé tout au long de sa jeunesse par l’univers visuel des “cartoons”, les dessins animés américains. Ce qui surprend le plus chez cet enfant destiné à devenir une icône de l’underground Yankee, c’est l’éclectisme et quelque part le conformisme de ses goûts. Des productions Disney aux Looney Tunes, il est ouvert d’esprit et est alors loin de ressembler aux sales gosses qui feront plus tard sa renommée. Pas de doigts dans le cul à l’heure de la récré ni de vomis intempestifs sur la maîtresse pour ce garçon bien sage…
C’est seulement en entrant à la fac, quelques années plus tard, que le jeune homme s’encanaille en découvrant le monde de la bande dessinée. Son domaine de prédilection se tourne plus particulièrement vers son versant le plus contre-culturel. Les dessinateurs Robert Crumb ou encore Rick Griffin deviendront dès lors ses maîtres à penser et son travail portera à jamais la marque de leur influence. C’est-à-dire l’influence d’une œuvre qui pour la première fois dans l’histoire des États-Unis porte la sous-culture au rang d’art de vivre. Pound commence donc quelques croquis, et les premiers coups d’essais dans le journal de son école se transforment rapidement en coups d’éclat. Il n’en faudra pas plus pour le conforter dans l’idée de se lancer plus sérieusement dans l’univers de la bande dessinée, et de tenter d’en faire son métier. Deux trois coups de crayons plus tard, et le jeune homme commence à se forger une solide réputation dans le milieu. Il apparaît dans les meilleurs journaux indépendants consacrés à la discipline, du célèbre MAD magazine en passant par Last Gasp.
QUAND LE PROUT PROUT DEVIENT PROUT
Art Spiegelman est à ce moment une autre valeur montante des “comics” underground US. Embauché en 1984 en tant que directeur artistique par la société Topps Gum Co., il décide de faire appel à Pound pour peindre une série de stickers illustrant des packagings pour la marque. À l’époque aux États-Unis, les “Cabbage Patch Kids”, sortes de petites poupées un peu fleur bleue, connaissent un véritable succès auprès des jeunes filles. Pound choisit de les détourner dans ses peintures en créant les “Garbage Pail Kids”, version “affreux, sales et méchants” des poupons originaux. Topps est séduite par l’idée et décide de lancer une série d’autocollants sur le thème. Le principe est de créer sur chaque autocollant un personnage graveleux et d’associer son prénom à un jeu de mot, le tout dans un esprit pipi-caca, ou plutôt vomi-morve au nez. La marque demande à quatre artistes de faire des propositions sur le thème.
Pound sera le premier étonné en apprenant que c’est lui qui est retenu pour dessiner la série. À la différence des autres dessinateurs, ses illustrations sont assez subversives et peuvent sembler loin des aspirations commerciales d’une entreprise. Mais le choix s’avèrera concluant car ce qui suit dépassera les espérances de chacun. En quelques mois, les stickers connaissent un succès national, et l’engouement démesuré du grand public provoquera la rupture de tous les stocks. Les gamins s’arrachent les cartes obscènes à l’école, tandis que les associations morales et chrétiennes crient au scandale. Et en quelques années, les cartes sont éditées dans de nombreux pays et la réussite américaine va se transformer en un triomphe planétaire…
CACA ET COCAINE
En France, les stickers sortent en 1989 sous le nom des Crados. Alain Pinto, un ancien journaliste passionné de bd, rachète la licence licencieuse, tandis que les noms sont adaptés par Béatrice Brocard, une journaliste de Libération. Jean-Louis Dégeulis, Laeticia Pudébras, ou encore Pervers Bebert font alors une entrée fracassante dans les cours de récré et les gamins trouvent enfin des cartes à jouer dont l’humour correspond à l’univers salace qui les fait tant rêver. Mais à l’instar des réactionnaires américains, La Bande Des Crados ne fait pas l’unanimité dans les sphères du pouvoir. Michel Rocard se dit “atterré” par le phénomène. Sûrement aigri par son pseudo, Lionel “Poubelle” Jospin fait même une intervention télévisée pour menacer de les interdire. Cousteau quant à lui tente de faire son commandant et patauge dans des injures alarmistes. Dans son journal Calypsolog, il écrit, “Parent ! si vous ne réagissez pas immédiatement et énergiquement contre cette pollution des esprits, ne vous étonnez pas si vos enfants partent à la dérive et finissent à la cocaïne.” Une rumeur court même pendant quelques temps, affirmant que l’encre utilisée pour imprimer les cartes contiendrait justement de la cocaïne ! À 2,50 francs le paquet, un bon investissement pour les junkies. Blacklistés à l’Élysée, les gros poissons de la mafia Crados vont-ils devoir se réfugier hors des eaux territoriales pour échapper aux déferlantes d’injures de Cousteau ?
RECYCLAGE D’ORDURES
Pendant ce temps aux États-Unis, ce n’est pas tant l’esprit pseudo-scato qui fout la merde, mais plutôt une action en justice pour plagiat, intentée par la compagnie qui édite les Cabbage Patch Kids. Après 15 séries, Topps arrête sa production et décide de ne pas sortir la 16ème, pourtant déjà prête. John Pound doit alors se tourner vers de nouveau projets et donner un second souffle à sa carrière. Il décide de recycler en partie le concept des Garbage Pail Kids en créant les Meanie Babies, pastiches des peluches animalières Beanie Babies. Le principe est le même et n’amène pas véritablement d’innovation, le seul changement étant que les bébés ont laissé la place à des animaux. De la même manière, Pound continuera d’exploiter le filon du détournement en créant des Silly Cd’s, séries de cartes parodiant des pochettes d’albums (les pochettes de 6Pac ou encore de Destiny’s Chilled restant cependant assez funky…). Infatigable, il crée en parallèle des visuels pour les planches de skate de la marque Shorty’s. L’esprit des Crados continue de hanter les créations de l’artiste, peut-être un peu contraint de reproduire l’imagerie qui à fait son succès.
Gardons-nous toutefois de croire que Pound se contente uniquement de vivre sur les acquis de sa notoriété. Il possède désormais davantage de temps et continue de se consacrer à la partie la plus personnelle de son art. Il se lance dans la programmation informatique et commence à travailler sur des petits programmes permettant de créer de manière aléatoires des bandes dessinées très simples, à partir de scripts. Le résultat est surprenant et innovant, les histoires et les images créées étant le fruit de calculs produits par l’ordinateur lui-même. Encore au stade plus ou moins expérimental, le principe est quasiment révolutionnaire car l’intervention humaine dans la création est remise en cause.
John Pound n’a pas fini de nous surprendre par ses univers décalés, en nous révélant à chaque création une facette nouvelle de sa personnalité. Et peut-être qu’en ces temps d’aseptisation culturelle, il pourrait bien faire un retour fracassant avec une version de Tamagoshis qui chieraient vraiment ou une Barbie lubrique qui se ferait vraiment Ken (héhé).